Et si Jeff Koons était simplement un imposteur ?

A l’instar de Damien Hirst accusé d’être un simple business-man, Jeff Koons est également sous le feu des critiques d’une partie de la scène artistique. L’artiste américain suscite pourtant l’enthousiasme et a su acquérir une certaine légitimité au fil du temps, en se faisant par exemple consacrer une grande rétrospective au Centre Pompidou, référence parisienne de l’art contemporain, pour « faire le bilan d’une indéniable grande oeuvre (…) une version certes ludique, mais plus subversive qu’il n’y paraît ».

Il se trouve que depuis sa collaboration avec la marque de luxe Louis Vuitton, nous souhaitions consacrer un article au « phénomène Jeff Koons ». Un article que nous voulions d’ailleurs aussi éloigné que possible des critiques dithyrambiques dont il fait l’objet tant au sein de la presse généraliste que spécialisée. Le scandale renouvelé autour de l’installation d’une sculpture d’un bouquet de Tulipes devant le Palais de Tokyo en commémoration des attentats de Novembre nous donne une occasion de le faire.

EN FACE D’UN VIDE CRÉATIF SIDÉRAL

Les nouvelles créations de Jeff Koons font irrémédiablement penser aux sacs vendus dans les boutiques de souvenirs bas de gamme de toutes les grandes métropoles européennes. Outre le fait que Louis Vuitton écorne un peu plus son image de marque de luxe, – comme l’expliquait Slate les riches du monde ne veulent plus de logos trop visibles – l’artiste américain nous place une fois de place face à son vide créatif.

Jeff Koons tente de s’en sortir par une parade intellectuelle en mettant en perspective le sac considéré comme oeuvre d’art aux toiles de grands maîtres de la peinture : Léonard Da Vinci, Rubens ou encore Titien. Peu convaincant. Et, une honte quand on sait que ces pièces sont vendues plusieurs milliers d’euros. Il deviendrait presque tentant de prendre le même extincteur que Kidult pour aller vandaliser les boutiques Vuitton et dénoncer l’appropriation de la peinture « classique » à des fins commerciales.

UNE APPROCHE PHILOSOPHIE ET ÉCONOMIQUE DE JEFF KOONS

Chacun peut évidemment apprécier plus ou moins telle ou telle oeuvre en fonction de ses inclinations, et des émotions qu’elles provoquent en référence à son expérience personnelle. Mais, le relativisme à tout crin a ses limites, qu’on peut peut-être aller chercher du côté de la philosophie. Kant définit le beau comme le « plaisir éprouvé à regarder la chose jugée belle ». Le penseur universaliste fait ainsi l’hypothèse d’un « sens commun esthétique », c’est à dire d’un plaisir partagé devant une oeuvre, que l’on trouve par exemple dans l’intérêt des impressionnistes français pour les estampes japonaises ou les masques africains dans le cadre d’une perception universelle du beau.

Antiquity

Est-ce que les œuvres de Jeff Koons obtiennent réellement l’adhésion d’un sens commun esthétique ? Ou bien sont-elles seulement de plus en plus exposées à cause d’une surenchère spéculatrice ? A la manière de la théorie économique du « winner takes all » sur internet, le marché de l’art ne veut-il pas simplement nous servir des têtes d’affiche, des blockbusters identifiés par tous et commercialisables à des millions de dollars ? C’est une critique que l’on pourrait évidemment retourner contre de nombreux artistes contemporains : incompris par une majorité de la population et considérés comme des investissements pour milliardaires. Mais, Jeff Koons ne parvient même pas à obtenir le soutien du milieu même de l’art contemporain qui se fend d’une tribune dans Libération contre l’installation de son bouquet de tulipes devant le Palais de Tokyo en dénonçant une « supercherie artistique ». L’emplacement voulu par Koons suscite l’ironie du philosophe Yves Michaud :

 « Le destinataire d’un cadeau est censé pouvoir en faire ce qu’il veut. (…) Reconnaissons quand même l’élégance de Jeff Koons : il ne demande pas à entrer directement au Louvre, mais juste à se faire valoir devant deux sites muséaux majeurs. »

Jeff Koons est ainsi soutenu par de riches personnalités comme François Pinaut, Dakis Joannou (industriel grec) et Steven A. Cohen (gérant d’un Edge Fund) : trois propriétaires de ses célèbres Balloon Dog qui profitent pleinement de l’envolée de la cote de l’artiste. Les marchands d’art les plus en vue du milieu l’ont également épaulé dans un contexte de mondialisation croissante du marché de l’art au cours des années 90 et 2000 :

« C’est la mondialisation du marché qui l’a porté, explique l’ex-galeriste parisien Jérôme de Noirmont qui, lors de sa première exposition en France, en 1996-1997, peinait à vendre les Inflatables Flowers (Fleurs gonflables) plus de 25.000 euros. L’Asie, l’Inde et le Moyen-Orient ont pris le relais de l’Europe et de l’Amérique avec un zéro de plus. »

Le Balloon Dog

UN HÉRITIER DU POP ART OU LE CRÉATEUR DU DOLL’ART ?

Jeff Koons est ainsi symptomatique de notre société : il a parfaitement su s’adapter au capitalisme qui a besoin de valeurs refuges où investir et au star system toujours à la quête d’audience et d’attention. Certains voient ainsi en lui un héritier d’Andy Warhol qui, avec sa Factory, a massifié la production artistique. Comme lui, il a également misé sur des objets et des personnages aimés de tous. A la manière de la Factory et dans l’héritage de Marcel Duchamp qui voyait dans le design industriel l’aboutissement de la pratique artistique, il a travaillé sur sa technique en recrutant de nombreux artisans de renom au sein de son atelier. Le directeur du Centre Pompidou Bernard Blistène le considère d’ailleurs comme « le dernier des pop ».

Nous préférons le qualifier de new pop chic loin de l’âme que le pop art avait à ses débuts, car c’était bien Andy Warhol le précurseur et l’homme de rupture qui osait également s’aventurer sur des sujets moins consensuels comme le macabre ou dans la musique avec The Velvet Underground. Massif, impeccablement réalisés et usinées, les oeuvres de Koons sont commandées à l’avance par les grands collectionneurs en empruntant ainsi tous les codes de l’industrie du luxe. La boucle est bouclée. Dans son fantastique courant du doll’art, Jeff Koons peut retourner travailler sur sa prochaine collaboration avec Bernard Arnault en se targuant du soutien médiatique.