Au carrefour de l’ambition technologique et du classicisme maritime, le Koru, superyacht de Jeff Bezos, a fait plus que prendre le large : il a suscité une onde de choc dans l’industrie nautique. Délivré par le constructeur néerlandais Oceanco en avril 2023, ce géant des mers n’est pas qu’un simple jouet de milliardaire. Il est le témoin contemporain d’une quête de la grandeur navale, rappelant l’époque des goélettes mythiques. Le nom Koru, signifiant « nouveau départ » en maori, souligne l’intention de son propriétaire de marquer une transition, bien au-delà de sa carrière chez Amazon. Pourtant, cette démesure à 127 mètres de long, l’un des plus grands voiliers du monde, n’a pas manqué de soulever des questions sur la discrétion et l’écologie dans l’univers du luxe.
Une conception singulière en écho au classicisme maritime
Le Koru, dont l’esthétique s’inspire du légendaire yacht Eos de Barry Diller, est une goélette à trois mâts qui rompt avec les lignes souvent futuristes des yachts à moteur. Cette architecture classique est un choix qui souligne un ancrage historique, même si elle est dopée par la technologie moderne. Il a été conçu par les cabinets Dykstra Naval Architects pour l’extérieur et Lateral Naval Architects pour la conception navale, garantissant ainsi un pedigree irréprochable. L’utilisation d’une coque bleu nuit et d’un long beaupré lui confère une allure à la fois élégante et puissante.
Cette interprétation moderne d’un voilier d’époque, avec ses mâts de plus de 70 mètres, s’inscrit dans une tradition que le luxe réinvente. La polémique de 2022 autour du démontage envisagé d’un pont historique à Rotterdam, le Koningshavenbrug, pour permettre le passage des mâts, a mis en lumière cette tension entre l’ambition d’un projet privé et la préservation du patrimoine public. Finalement déplacé sans ses mâts, qui furent installés plus loin, le Koru a navigué au milieu des critiques.
Le Yacht d’appoint l’Abeona : le doublon nécessaire
La notion de superyacht ne s’arrête plus au navire principal, comme l’illustre parfaitement le Koru. Il est inséparable de son navire de soutien l’Abeona, long de 75 mètres, construit par Damen Yachting. Nommé d’après la déesse romaine des voyages, ce navire remplit le rôle d’un garde-manger high-tech et d’un garage pour jouets nautiques.

L’Abeona permet au Koru de conserver des lignes épurées, en déportant les équipements moins esthétiques ou encombrants. Il transporte notamment un héliport et un hangar pour hélicoptère, ainsi que tout l’équipement de plongée nécessaire. Il assure également l’hébergement d’une partie de l’équipage, qui compte environ 40 personnes au total pour les deux navires. C’est une stratégie logistique qui témoigne de la sophistication requise par les standards actuels du yachting de très haut niveau, où l’espace et l’intimité sont des monnaies rares.
Luxe, technologies et contradictions écologiques
Le Koru se distingue par son volume de plus de 3 493 tonnes brutes et sa capacité à accueillir 18 invités. À l’intérieur, les détails sont signés par Mlinaric, Henry & Zervudachi, privilégiant le confort dans un style raffiné et intemporel. Il est doté d’une piscine sur le pont arrière et de nombreux aménagements luxueux.

Malgré cette opulence, le yacht intègre des technologies axées sur la durabilité. Il est équipé d’un système de récupération d’énergie cinétique, convertissant le mouvement des vagues en électricité, s’ajoutant à sa motorisation à faibles émissions. Cependant, la présence de canons à eau, initialement évoqués pour repousser d’éventuels pirates, rappelle que la navigation en haute mer reste une affaire de sécurité et de pragmatisme. Il est difficile d’omettre le paradoxe entre ces initiatives écologiques et l’empreinte carbone inhérente à la construction et à l’exploitation d’un tel géant des mers, sans même parler du navire d’assistance Abeona.
Le Koru n’est pas seulement un moyen de transport ; il est un symbole de pouvoir et de la nouvelle aristocratie technologique. Il navigue aujourd’hui entre les Baléares et la Méditerranée, attestant de cette nouvelle géographie du luxe où l’on préfère la discrétion d’une goélette immense au bruit d’un yacht à moteur. Il se pose en héritier des grands voiliers, réinterprétant le panache de l’histoire maritime à l’ère du numérique, sans pour autant échapper à l’examen critique des observateurs.

